Si mon fils pêche beaucoup moins qu’à une époque, il prend quand même quelques jours au printemps pour traquer les truites sauvages de notre rivière. La passion pour les zébrées reste bien ancrée en lui mais la faiblesse des densités l’éloigne toujours plus longtemps des berges de la rivière au fil des années. Thibaut passe du temps sur la rivière seulement durant les semaines qu’il ne faut pas manquer. Ces jours où toutes les truites ou presque sont actives. Cela permet de croire qu’il en reste encore un peu. Autant dire qu’il pêche très peu.
Cette saison, durant sa petite période de congés, il a capturé quelques truites sur de très jolis coups de ligne. J’ai en souvenir cette belle truite prise en sèche alors qu’il était en baskets. J’ai encore dans les oreilles le rire de mon fils au téléphone en train de marcher dans l’eau glacée jusqu’à mi-cuisses après une course poursuite pour épuiser cette truite ! Et puis quelques autres…
Mais il y a surtout eu ce poisson. La truite. Cette truite dont il avait connaissance avec son grand copain Victor. Trois ans exactement que Thibaut et Victor croisaient la route de ce poisson une à deux fois chaque saison. Sur le même poste, souvent à la même période. Aucun des deux amis n’avaient réussi jusque-là à tromper la belle zébrée. Parfois même pas "tentable", parfois si mais avec à la clé le refus du poisson devant l’imitation.
Ce printemps, alors que Thibaut terminait ses congés, il eut l’envie de retourner voir si leur truite était toujours là. Il n’y était pas encore allé cette saison. J’étais de mon côté au boulot mais je me souviens avoir reçu des messages où Thibaut me disait qu’elle était toujours au même endroit. Qu’elle ‘était active. Qu’il allait prendre le temps de voir comment il allait faire avant de tenter quoi que ce soit.
Il faut bien dire que le poste où vit ce poisson est très compliqué à aborder. Par endroit des falaises, une grande hauteur d’eau, un débit très faible. Victor et Thibaut, contrairement à leur habitude de pêcher plutôt avec de gros diamètres en pointe, sont déjà descendus en 15 centièmes les saisons précédentes pour tenter ce poisson mais sans succès. Il faut dire que cette truite vit sur un parcours hyper fréquenté sur le plein amont de la rivière. Un parcours où les prélèvements sont autorisés. Autant dire que pour arriver à cet âge-là à cet endroit précis, elle avait oublié d’être stupide.
Après un long temps d’observation, additionné à ses expériences passées sur ce même poisson, Thibaut décide de se positionner sur le poste du haut. Là où il y a un minuscule couloir contre la roche avec une plus faible profondeur d’eau. La truite monte jusque-là pour chercher des nymphes. Le risque est grand mais Thibaut refait toute la fin de son bas de ligne pour mettre une pointe en 13 centièmes. Dans sa réflexion et suite aux expériences passées avec Victor, il était persuadé qu’il fallait la pêcher fin. Le parcours est encore une fois très couru. Les truites voient des pêcheurs tous les jours utilisant toutes les techniques avec une majorité de pêcheurs en nymphe à vue. Le parcours s’y prêtant très bien. Pour mon fils, cette truite reste avant tout un poisson hyper éduqué. La finesse du nylon peut être la clé pour tromper sa vigilance.
Thibaut a fait le choix de nouer une nymphe que son pote Victor lui avait donné. Le tricho d’Alex ! Une jolie bestiole peu plombée montée sur un fort de fer. Après s’être positionné pour avoir le meilleur angle d’attaque, après quelques longues minutes de patience, la belle est arrivée sur le poste comme Thibaut l’avait imaginé. Un coup de ligne à l’arbalète classique comme les deux amis l’avait déjà tenté sur cette même truite par le passé. Mais cette fois-ci, le poisson a ouvert sa grosse gueule sur l’imitation de nymphe de trichoptère au lieu de la refuser comme habituellement. Est-ce le choix du fil plus fin qui a été payant ? Est-ce tout simplement ce jour-là que la truite devait se faire blouser et pas un autre ? Difficile de répondre à ces questions. Thibaut à lui la certitude d'avoir validé son choix de fil fin en tous les cas.
Après un bon ferrage, la truite a basculé directement dans le haut fond. Thibaut a dû sauter à l’eau se retrouvant les pieds dans le vide. A cet instant il a compris avoir commis sa seule erreur du jour. Avoir mis ses waders. Ceux-ci se sont remplis assez vite. Tout en combattant la truite dans cette immense fosse, Thibaut a pu s’accrocher au banc de roche avec son bras gauche et se poser sur les talons afin de terminer le combat sans battre des jambes pour rester en surface. L’eau était glacée bien entendu. Il fait bon avoir vingt-cinq ans !
Depuis sa nouvelle position ma foi précaire mais plus stable malgré tout, il a pu gérer son combat de la meilleure des manières. Malgré sa pointe très fine pour un tel poisson, la délivrance est arrivée après quelques minutes de résistance tout en force en glissant la grande truite dans l’épuisette à la première tentative. J’ose croire que l’élasticité du fil rouge qui compose le corps de son bas de ligne l’a bien aidé quand même. Trois ans que ce poisson était connu. Trois ans après il était enfin là, dans le filet. Un poisson d’une beauté incroyable. Un esthétique parfait à nos yeux. Massif derrière la tête avec une proportion poids/taille parfaite également. Quelle magnifique truite sauvage !
Il a tout de suite appelé deux personnes. Son copain Victor qui connaissait lui aussi ce poisson. Il avait à cœur de partager ce moment avec son pote. Et puis son père, trop occupé au boulot pour répondre ! Quand mon temps de pause est arrivé, j’ai vu sur mon téléphone 4 appels en absence de Thibaut. J’étais fou ! Sur mon WhatsApp des photos ! Mon Dieu ce poisson !
Ni une ni deux, je l’ai rappelé. Il était sur le sentier entre son coup de pêche et sa voiture. Il était complètement gaugé, frigorifié d’avoir rempli les waders mais tellement heureux. Une joie si communicative. J’ai passé ma meilleure pause professionnelle en l’écoutant me raconter toute l’histoire dans les moindres détails.
Cette truite, un mâle de toutes évidences, mesure 66 centimètres. Sur ce linéaire, tout en amont de la rivière, c’est très gros. Très rare. Très vieux. La thermie beaucoup plus basse du fait d’être en tête de bassin rend la croissance plus lente et produit des poissons à taille égale beaucoup plus âgés. Une truite très compliquée à prendre tant ces grands poissons en ont vu passer de toutes les couleurs. Rien à voir avec une grande truite d’un parcours aval que l’on peut attaquer en 20 centièmes parce qu’elle voit un pêcheur tous les 36 du mois. Non, là, c’est une truite d’une très grande valeur sur un parcours mythique. Un coup de ligne dont Thibaut se souviendra toute sa vie. De plus, tenter un poisson autour des 3 kilos en 13 centièmes, il fallait oser quand même. Pari réussi. Bravo fils !
Thibaut a quasiment terminé sa saison sur ce poisson. Même si j’ai réussi à le trainer au bord de l’eau pour une ou deux sorties communes, il n’y avait plus rien de sérieux derrière cet instant. Cela doit être quelque chose comme sentiment d’arriver à tromper un tel poisson que l’on suit sur plusieurs années. Le but pour Thibaut maintenant étant d’en trouver une autre pour y passer autant de temps avec espérons-le pour lui, la même fin heureuse.
La grande main de mon fils qui mesure 1.96m parait bien petite.
Cette beauté sauvage est repartie à l'eau comme si de rien n'était.
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